Encadrant responsable
Can Onaner
« L’HOMME AUX NERFS MODERNES, Se mouvoir, se tenir debout, s’asseoir, s’endormir, se loger, se nourrir, s’habiller » sont le titre et le sous-titre d’une conférence donnée par Loos à la Sorbonne en 1926.
Le rapport entre le titre et le sous-titre de cette conférence est intéressant pour le paradoxe qu’il révèle : le titre nous indique qu’il s’agit de définir l’homme moderne, tandis que le sous-titre ramène cette modernité à des actions du corps qui évoquent une certaine permanence.
Si le Corbusier et les membres du Deutscher Werkbund voulaient inventer l’ « Esprit » ou le « Style » moderne, Adolf Loos associe la modernité aux actions les plus élémentaires du corps : la modernité appartient à la « basse » matérialité corporelle, à ses activités simples et profanes qui restent inchangées. Pour Loos, l’homme moderne ne recherche pas l’ « Esprit » moderne, ni n’invente un nouveau style ; il doit se contenter d’avoir des nerfs modernes.
La question que nous posons est celle-ci : quels sont les modes d’habiter, de se mouvoir, de s’assoir et de se nourrir de l’ « homme aux nerfs modernes » à notre époque ?
A l’époque de Loos, mais encore plus certainement à notre période contemporaine, la « vie des nerfs » suppose une accélération des stimuli : si les actions du corps (se mouvoir, se tenir debout, s’asseoir, s’endormir, se loger, se nourrir, s’habiller) restent inchangées, l’intensité avec laquelle ses actions sont stimulées par les nerfs constitue une véritable nouveauté.
Cette intensification s’est accrue de manière exponentielle en un siècle. L’enjeu de ce semestre est de faire une hypothèse sur la manière dont ces impressions externes et internes peuvent modifier les actions du sujet à notre époque contemporaine. Cette hypothèse prendra la forme d’un projet architectural qui conçoit l’habitat contemporain dans son aspect à la fois architectural, sociologique et psychologique.
Quelques questions et hypothèses autour de l’habitat contemporain :
- Qu’est-ce qu’un « habitat contemporain » ? Quels sont les usages dans un habitat contemporain ? Que représente socialement, psychologiquement et symboliquement un habitat de nos jours ? Est-ce d’abord et avant tout un abri qui protège des phénomènes extérieurs physiques, ou bien est-ce un masque social qui délimite et rend possible la vie privée ?
- Est-ce un lieu de repos et d’intimité, différent du lieu de travail ? Aujourd’hui l’habitat est-il devenu, en partie, un lieu de production ?
- Si l’habitat est le lieu de la vie domestique, n’est-il pas surtout celui de la domestication ? Le lieu où l’on éduque, où l’on instruit, où l’on conditionne. N’est-ce pas le symbole de la famille, de l’institution familiale, le lieu qui fait perdurer la reproduction de l’espèce ? Ce caractère institutionnel de la famille et de l’idée de « foyer » qui va avec, ne sont-ils pas remis en question dans la société contemporaine ? Dans un pays, la France, où plus de 35% des ménages sont composés d’une seule personne, ne faut-il pas reconsidérer nos manières de penser l’habitat, ainsi que les rapports entre public et privé ?
- L’habitat était un symbole de stabilité, d’origine, de racine, d’identité, mais ces notions ont été mises à mal par la modernité, depuis le XIX siècle. La métropole, l’industrialisation, les mobilités physiques puis les échanges virtuels ont modifié et remis en cause ces sentiments sécurisants, parfois étouffants. L’habitat contemporain s’inscrit dans une structure globale de mobilité, un réseau mondial de communication, d’échanges économique, de savoir, de sentiments, de rêves, etc. Sur internet, on peut à la fois consommer et produire, échanger, rencontrer sa compagne ou son compagnon pour la vie ou pour un soir. Mais Internet fait aussi de l’habitat un milieu contrôlé. Plus que jamais, avec les réseaux numériques, l’extérieur envahit l’intérieur de l’habitat. Dans ce contexte, comment penser l’intimité et la liberté à l’intérieur de l’habitat contemporain ?
- Les rapports entre l’individu et le collectif, entre le sujet et les foules, se transforment à travers ces différents bouleversements technologiques et sociaux. Comment repenser aujourd’hui la relation entre le logement individuel et le logement collectif ? Devons nous penser une forme d’habitat « augmenté » qui réunit l’individuel et collectif, le privé et le public, les activités partagées et l’intimité sexuelle, le travail et le repos ? Ou au contraire, notre époque nous amène-t-elle à considérer qu’il est préférable de « réduire » l’habitat à son minimum nécessaire – l’intérieur privé –, afin de protéger l’intimité des habitants de l’ingérence de la vie publique, tout en libérant la vie collective des influences de la vie privée ?
Dessins des étudiant.e.s : Alice Braastad, Nathan Laglace, Niels Tsakiris et Paul Thieffry
Première étape - Les scénarios de l’habiter (travail individuel)
Il s’agit pour cette première étape de constituer le scénario de votre habitat en pensant l’architecture de l’habiter comme un dispositif permettant l’expérience de l’espace et du temps au quotidien. Dans cette approche, ce qui importe est moins l’objet architectural en lui-même que l’usage qui est permis par cet objet. L’usage est ici considéré au sens large : autant la fonction pragmatique que la dimension psychologique, symbolique, sociale ou politique. Pour parler de cet usage au sens large, au terme de programme, nous préfèrerons celui de scénario puisqu’il s’agit de réfléchir à un mode de vie dans son ensemble, plus qu’à des fonctions organisées selon un programme prédéfini. Le scénario peut raconter une histoire, il peut être narratif. Mais il doit aussi être problématisé : il doit refléter, sans l’illustrer, une réflexion et une prise de conscience sur les différents aspects qui constitue l’habiter aujourd’hui, la vie privée domestique et le rapport à la vie publique. (Se référer aux questions soulevées dans le texte de présentation du semestre) Quelle démarche allez-vous avoir en faisant votre projet ? Pour qui le faites vous ? Vous pouvez partir d’un cas existant. Choisir des « clients » réels potentiels (documentaire). Vous pouvez simuler un cas. Choisir des « clients » fictifs (fiction). Quelle est la part de fiction et de documentaire dans votre scénario ? Une fois votre scénario établi et problématisé, vous devez le retranscrire en dispositifs architecturaux qualifiés et dimensionnés (de part leurs volumes, leurs revêtements, leurs prises de lumières, leurs mobiliers, atmosphères, etc.) qui inscrivent les usages dans le temps et l’espace.
Rendu attendu : quatre feuillets A3 mis en page avec texte : - croquis en plan, en coupe et en perspective, - axonométries analytiques, - collages N&B et couleur à partir de dessins personnels, gravures et photographies. Pour ces collages, vous pouvez utiliser de références architecturales et/ou artistiques
Deuxième étape - Partir de l’intérieur (travail individuel)
En partant du scénario et des dispositifs imaginés, il s’agira à cette étape de concevoir deux pièces d’un logement. La démarche consiste à partir de l’intérieurces pièces, du point de vue du corps qui les habite : construire les parois autour de soi ; s’habiller des murs qui vous entourent ; penser l’espace comme une seconde peau. Chaque pièce peut être considérée comme un vêtement particulier : à chacune sa fonction pragmatique, mais aussi à chacune sa fonction psychologique ou symbolique. Cette seconde peau peut être dure ou souple, fine ou épaisse, perméable ou imperméable, opaque ou transparente, rassurante ou étouffante, etc. En somme elle a des qualités physiques et psychologiques au-delà de ces qualités purement fonctionnelles. Que laisse passer cette seconde peau ? Que refusera-t-elle de laisser passer ? La lumière : il y a des fenêtres qui servent à laisser passer la lumière mais pas les regards. Le regard : l’intérieur d’un habitat peut être considéré comme une mise en scène, avec des ouvertures qui cadrent le regard, qui font qu’une pièce devient la scène, le lieu d’un spectacle, tandis qu’une autre la salle, le lieu du spectateur. Le corps en mouvement : si l’architecture habille le corps et communique à travers cet habit, elle peut aussi le mettre en mouvement. Le regard, la lumière, les odeurs et les bruits peuvent aussi passer d’une pièce à l’autre. Il faut alors définir les modes de ces circulations : les transitions, les seuils. Qu’est-ce qu’un seuil ? Le seuil peut être une porte, un bout de couloir, un sas, quelques marches. Il y a des seuils que l’on traverse avec le corps, d’autres qu’on traverse avec le regard. Il existe des seuils imperceptibles, que l’on traverse sans s’en rendre compte, d’autres qui nous arrêtent, qui figent notre mouvement. Il y a des seuils qui deviennent des espaces en soi, d’autres qui sont juste des espaces de dégagement.
Rendu attendu : quatre à six feuillets A3 avec texte et titre, constitués de : - Plans et coupes au 1/50 des deux pièces et de leurs seuils - Coupe perspective au 1/50 - Axonométrie 1/50 - Croquis et collages N&B ou couleur - Maquettes en carton gris au 1/20
Troisième étape - Partir de l’extérieur (travail individuel)
Il s’agit, à la suite de la première démarche qui consistait à partir de l’intérieur vers l’extérieur, de faire le mouvement inverse : partir de l’enveloppe extérieure donnée par la parcelle (site abstrait) et les différentes contraintes qui la constituent : - Une parcelle de 9m de large et de 24m de long (216m2), avec une hauteur habitable maximum de 5m80, avec les épaisseurs comprises des murs, des plancher et de la toiture. - Murs aveugles sur les trois côtés. Façade sur rue sur un des petits côtés, orienté est. - Surface habitable (intérieure) maximum : 150 m2 Le rapport à la rue : la façade est le lieu de la représentation de l’habitat, le lieu de « la publicité du privé ». Que laisse transparaître l’habitat de son intérieur ? Qu’est-ce qui rentre de l’extérieur à l’intérieur ? C’est encore la question de la peau. Mais il s’agit là de la peau extérieure. Quel est le rapport entre la peau extérieure et la peau intérieure ? On peut considérer qu’elles sont identiques, que les deux se confondent dans le mur. Au contraire, on peut aussi les envisager dans leur dualité, considérer le seuil réel ou imaginaire qui existe entre les deux peaux. Les accès : les différentes séquences, les seuils et les transitions public/privé. Le rapport au ciel : pour amener de la lumière, on peut creuser dans le volume des patios ou avoir un jardin. Le rapport au sol, il peut exister plusieurs sols qui se superposent au sol naturel : des terrasses ou des jardins suspendus. Le rapport aux parois latérales : travailler les deux pignons ainsi que la paroi de fond de parcelle (matérialité, épaisseur).
Rendu attendu : Six à dix feuillets A3 mis en page avec texte et titre : - Plan meublé (habité) au 1/100 - Coupes nécessaires à la compréhension des différences de hauteurs des sols et des plafonds au 1/100 - Façade sur rue et façades sur jardin/patio au 1/100 - Coupe perspective au 1/50 (ombrée et texturée) - Axonométrie au 1/50 - Schémas analytique et thématiques - Maquettes en carton gris 1/50
Quatrième étape - Superposition (travail individuel)
La quatrième étape opère un changement d’échelle et de statut de l’habitation élaborée pendant la troisième étape. Il s’agira de juxtaposer, superposer et/ou imbriquer plusieurs logements en élaborant la volumétrie d’un petit immeuble en R+4 (maximum 12m de hauteur de façade). Pour concentrer votre attention sur les mécanismes et problématiques liées à la superposition et à la distribution des logements dans l’immeuble, vous travaillerez à nouveau deux semaines sur un site simplifié avant d’aborder la mise en place du projet sur un site réel. La dimension de la parcelle (9m x 24m) et l’orientation restent inchangées, mais on considère pour cet exercice que la façade arrière ouvre sur un extérieur, une rue ou une cour. Les deux pignons restent aveugles. Le rez-de-chaussée sera en partie occupé par l’entrée de l’immeuble, son hall, sa cage d’escalier et d’ascenseur, ainsi que les locaux de service nécessaires. Une surface au rez-de-chaussée (et éventuellement au premier étage) sera allouée à un programme ouvert au public (ateliers, commerce, petit équipement, etc.)
Votre attention sera portée sur deux nouveaux paramètres :
- Les rapports entre les espaces privés, les espaces communs privatifs et les espaces publics.
- L’organisation générale de la structure du bâtiment.
Rendu attendu : deux à trois panneaux A1 (format portrait) mis en page avec texte et titre, constitués de plans de tous les niveaux meublés (habités) au 1/100, de coupes nécessaires à la compréhension des niveaux, des hauteurs sous plafonds et des imbrications volumétriques 1/100, des façades sur rue et façades sur jardin/cour/patio au 1/100, d'une coupe perspective au 1/50 (ombrée et texturée) sur un appartement ou sur un espace commun, d'une axonométrie au 1/50 sur un appartement ou sur un espace commun, de schémas analytique et thématiques : 1-géométrie, 2-usages/ameublements, 3-épaisseurs/seuils, 4-continuité spatiale, 5-circulations, 6-ouvertures, 7-textures/peaux, d'une maquette soignée monochrome au 1/100 de l’immeuble montrant les volumes intérieurs et le principe structurel
Cinquième étape - Projet urbain (travail collectif)
La cinquième étape consiste à penser collectivement l’habitat dans un contexte urbain réel. Le site en question se trouve à côté du parc de la Villette, dans un contexte urbain de faubourg relativement peu dense, longé d’un bras court du canal de l’Ourcq. L’enjeu de cette étape est de repenser collectivement les rapports entre l’espace public et l’espace privé à partir de vos scénarios d’origine, en prenant en compte la réalité physique, sociale et culturelle du site. Le projet collectif doit engendrer un nouveau parcellaire (ensemble de parcelles différentes) avec des types d’immeubles d’habitation différents à considérer (« tours », « barre », « plots », maisons en bande, etc.), une mixité de programmes (commerces, ateliers, bureaux, petit équipements), une bonne qualification des pleins et des vides pour la circulation de l’air et de la lumière, une distinction entre les espaces privés, les espaces communs privatifs et les espaces publics. La division parcellaire doit permettre à chaque étudiant du groupe d’avoir sa propre parcelle sur laquelle il/elle adaptera son projet précédent. Vous serez peut-être amenés à proposer un urbanisme simplifié de rues, ruelles et sentes piétonnes, porches, passages et cours, créant des voisinages de faubourg parisien. Ou alors, loin de ces morphologies historiques, vous proposerez un urbanisme de dalle avec des terrasses et jardins suspendues. Ou encore, vous en arriverez à de grands espaces vides publics autour desquels s’organisent des constructions monumentales. Dans tous les cas, un scénario urbain clair sur le plan typologique aussi bien que d’un point de vue sociologique devra découler d’une discussion collective.
Rendu attendu : un ou deux panneau A0 par groupe (format paysage) mis en page avec texte et titre, constitués d'un plan de situation pour l’ensemble du site au 1/2000, avec la villette et le contexte urbain, d'un plan masse au 1/500 cadrée sur votre intervention, d'un plan de «cadastre» au 1/500 (bâti + parcellaire), d'un plan du RDC au 1/500 avec espaces publics/privés, de coupes transversales et longitudinales au 1/500, de perspectives urbaines, de schémas explicitant le projet (rapport individuel/collectif, public/privé, travail/repos, etc.), d'une maquette du site au 1/500
Sixième étape - Inscription urbaine (travail individuel)
Pour la sixième et dernière étape du semestre, vous devrez adapter votre projet individuel sur le site, en respectant les règles collectives établies, en prenant soin de conserver votre scénario initial ainsi que les qualités architecturales développées dans les phases précédentes, sans pour autant reprendre à l’identique votre projet de la quatrième étape.
Rendu attendu : deux panneaux A1 par étudiant (format portrait) mis en page avec texte et titre, constitués de plans de tous les niveaux meublés (habités) au 1/100, de coupes nécessaires à la compréhension des niveaux, des hauteurs sous plafonds et des imbrications volumétriques 1/100, des façades sur rue et façades sur jardin/cour/patio au 1/100, d'une coupe perspective au 1/50 (ombrée et texturée) sur un appartement ou sur un espace commun, d'une axonométrie au 1/50 sur un appartement ou sur un espace commun, de schémas analytique et thématiques : 1-géométrie, 2-usages/ameublements, 3-épaisseurs/seuils, 4-continuité spatiale, 5-circulations, 6-ouvertures, 7-textures/peaux, d'une maquette soignée monochrome au 1/100 de l’immeuble montrant les volumes intérieurs et le principe structurel - Maquette volumétrique au 1/500 à positionner dans la maquette du site, d'une maquette soignée monochrome au 1/50 d’un logement ou d’une maison de ville