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LA FABRIQUE IMAGINAIRE, produire, habiter, mettre en scène

Studio de projet, ENSAB, 2022

Licence 3, semestre 2

Encadrant responsable

Can Onaner

L’enseignement proposé répond à trois intentions pédagogiques principales :

 

1. Penser l’écologie au sens large

 

L’écologie prend en compte non seulement les ressources énergétiques et matérielles dans la production du bâti, mais plus globalement le rôle de l’architecture comme mode de pensée agissant dans l’organisation de la société et la fabrication de notre environnement. Pourquoi l’architecture ne se limite-t-elle pas à la production du bâti, que ce soit, à petite ou grande échelle ? Comment l’architecture, en tant que mode d’organisation spatiale, esthétique et symbolique participe-t-elle de la production économique, culturelle et politique de la société ?

Dans cet atelier, nous nous intéresserons donc autant à la conception et à la production de l’espace construit, à la production qui a lieu à l’intérieur de cette construction, qu’à des modes d’organisation du monde que met en avant la pensée architecturale : réunir/séparer ; cacher/rendre visible ; isoler/rendre accessible ; augmenter/réduire ; unifier/démultiplier ; éloigner/rapprocher ; mais aussi mobiliser/figer ou ralentir/accélérer.

Nous nommons notre atelier « produire, habiter et mettre en scène » et faisons l'hypothèse d'une pensée globalisante de l'architecture pour répondre aux exigences d'une écologie à la fois économique, sociale, politique et esthétique.

 

2. Aborder la ville et ses territoires comme une relation d'espaces et de temporalités hétérogènes et conflictuelles

 

Tout dans la ville n’évolue pas selon la même vitesse, parce que la perception d’un même lieu se modifie selon l’échelle spatiale et temporelle à travers lequel on le regarde, selon le réseau d’événements sociaux et politiques dans lequel on l’inscrit. Parce que chaque dispositif spatial a une durée de vie, une capacité à se transformer, à s’adapter, à disparaître, a laisser des traces ou non.

La ville contemporaine est fondée sur l’utopie de l’immédiateté et de la rapidité. Le paradigme du changement et celui de la mobilité ont pris le dessus sur les questions de permanence et de continuité qui, il y a encore une quarantaine d’années, formaient le prisme à travers lequel on regardait la ville. La mobilité, matérielle et immatérielle, a supplanté l’immobile, comme le temps a supplanté l’espace. Pourtant l’accélération des modes de déplacements physiques, comme celle de la mobilité de l’information ne vont pas sans des formes d’immobilisation : une infrastructure autoroutière servant la plus grande vitesse, est perçue depuis le dessous comme une construction des plus immobiles. Non seulement elle crée une limite dans le territoire, mais elle constitue également une présence physique monumentale qui marque le paysage de la façon la plus permanente.

Cette dialectique nous amène à regarder et à lire la ville contemporaine à partir des lieux de tensions, de rupture et de friction; à nous intéresser aux seuils et aux lieux d’inversion de la vitesse en immobilité, du local en générique, du rassurant à l’angoissant, afin de révéler les tensions spatiotemporelles, sociales et politiques dont l’architecture de la ville est porteuse.

C’est pourquoi nous choisissons de travailler sur un site fait de continuités autant que de ruptures. Un site à la fois très proche – sans s’éloigner plus de 5 kilomètres de l’école – et lointain, car formés de poches inconnues, de seuils difficiles à franchir, d’espaces délaissés, de temporalités hétérogénéités. Ce site qui n’a pas de limite prédéfini a comme artère le canal de l’Ille et de la Rance. Chaque étudiant.e constituera son propre site de projet par la traversée de différents lieux hétérogènes, en suivant le canal jusqu’à la Rocade, qu’il ou elle franchira ou pas ; et surtout en dérivant plus ou moins profondément vers l’est et vers l’ouest, de manière à construire l’épaisseur de son cheminement, en décidant de ses limites, de ses attentes et accélérations, au grès des différents lieux, atmosphères, situations et évènements rencontrés. Cette dérive pourra se faire à la manière des Situationnistes, avec des protocoles qui visent à relever et à remettre en question les structures spatiales et sociales qui conditionnent notre rapport affectif et psychologique au milieu environnant. La lecture du site, issue de son expérience individuelle, donnera lieu à son écriture comme projet collectif.

 

3. Inventer de nouveaux types architecturaux

 

Le second semestre de la troisième année de licence est le moment idéal pour aborder la complexité programmatique de l'architecture en partant de la réalité d’un site. En longeant le canal de l’Ille et de la Rance, on s’intéressera simultanément aux lieux de production, d’habitation et de spectacle. Par lieux de production, nous entendons autant les usines, les ateliers, que les bureaux et les espaces agricoles. Par lieux d’habitation, nous entendons aussi bien les logements individuels et collectifs que les espaces extérieurs que l’on s’approprie et les places et routes que l’on occupe. Par lieux de spectacles, nous pensons autant à des théâtres, à des salles de concerts ou des petites salles polyvalentes, qu’à une manifestation advenant dans l’espace public.

Le projet se fera en partant des situations et espaces observés sur le site, aussi bien que par l’analyse de projets de références, ou encore la réflexion autour du champ lexical des 3 notions – production, habitation et spectacle. Le travail consistera à concevoir le scénario d’un complexe architectural réunissant au minimum deux de ces trois types d’activités. Cela peut donner lieu à des programmes mixtes relativement conventionnels, comme un cirque, un théâtre habité ou encore des ateliers d’artistes où l’on vit et expose simultanément ; une ferme agricole ou un atelier d’artisan où l’on produit et vit dans le même lieu ; des studios d’enregistrement couplées d’une salle de concert pour produire et mettre en scène dans un même bâtiment ; etc. L’appréhension du site, l’analyse des références et la réflexion sur les trois notions peut aussi donner lieu à des programmes plus improbables : les bureaux d’un média occupé et transformé en habitat et assemblée politique ; un zoo comme habitat expérimental pour le devenir animal des humains ; un data center devenu espace de représentation ouvert au public ; une usine où l’on produit des individus employables ; une déchèterie qui est en même temps un espace d’exposition. En définitif, l’enjeu est d’aborder la complexité des modes de vie dans des territoires métropolitains et, peut-être, d’inventer de nouveaux types architecturaux en adéquation ou en contraste critique avec ces modes de vie.

 

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Méthode de projet

 

L’atelier se déroulera selon 3 temps, un temps documentaire, un temps de scenarii, un temps de disposition architecturale. Ces 3 temps ne sont pas linéaires, exclusifs, ni successifs. Ils se superposent et s’augmentent. Non clos, chaque temps est l’occasion d’ouvrir des documents qui seront repris tout au long de l’atelier.

 

Le temps « documentaire » est le temps de lecture du site par le repérage de «récurrences». La documentation des lieux se fera selon un protocole défini en avance, en lien avec les trois thèmes : produire, habiter et mettre en scène. Un champ lexical autour de ces notions sera proposé, de manière à élargir l’imaginaire qui leur est lié. (ex : Production intensive, bloquée, autonome, consommation, planification, performance, Spectacle, spectaculaire, fantasmagorie, illusion, simulacre, mise en scène, intérieur, Habitation, demeure, villa, cabane, bidonville, nomade, foncier, métropole, nécropole...)  Il s’agira de relever des situations, des événements, des formes de bâtis, des infrastructures, des espaces publics, et surtout, des seuils et des limites, en rapport avec les notions travaillées. Une carte de lecture subjective se dessinera progressivement, par l’association des situations relevées. Le site deviendra un territoire d’enquête à arpenter dont les contours et les contenus seront questionnés.

Le temps « d’élaboration de scenarii » est une phase dont l’avènement chronologique est variable. Mise en tension, la lecture du site devient peu à peu problématisée. En faisant évoluer le dessin des récurrences du documentaire vers la projection, en analysant leurs impacts à différentes échelles, du plus local au plus global, à travers notamment des analogies avec d’autres lieux, temps et cultures, le passage de la lecture à l’écriture de la ville se fait progressivement. En utilisant les outils de la narration, la lecture est poussée, à la manière d’un roman de Ballard, à un point paroxystique avec comme objectif final de proposer une ou plusieurs interventions - à l’échelle libre - sur un ou plusieurs points de récurrence.

 

La dernière phase de disposition architecturale vise à questionner les conditions de réalité et la légitimité aussi bien économique, sociale, politique, qu’esthétique d’une intervention architecturale dans la ville contemporaine. Elle se situe entre la spéculation la plus utopique et le projet le plus ancré dans une réalité matérielle. Cette phase, en travail individuel et en groupe, doit donner lieu à un projet final, dimensionné, aux qualités spatiales, formelles et matérielles élaborées, avec une attention particulière au langage architectural et à l’expression plastique des dispositifs proposés.

 

 

Bibliographie :

Guy Debord, La société du spectacle, éd. Buchet Chastel, Paris, 1967,

Aldo Rossi, L’Architecture de la Ville, éd. Folio, collection Archigraphy, 2006, édition originale en italien, 1966

Tim Ingold, Marcher avec les dragons, Zones Sensibles, 2013

Franck Rambert, Hors nature, l’enceinte, une figure de la sédentarisation, Métispresses, 2019

Ludger Shwarte, Philosophie de l'architecture, éd. La découverte, Paris, 2019

Andreas Malm, Comment saboter un pipeline ?, éd. La fabrique, Paris, 2020

Dessins des étudiant.e.s : Clémentine Coconnier & Elléa Nicolas-Charles ;

Etienne Filoche, Lise Tomasevic & Léonard Troeira

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